mardi 28 août 2012

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abotinsky et la tradition juive : pour en finir avec les calomnies, Pierre Itshak Lurçat

Article mis à jour le 26-07-2012
Jabotinsky et la tradition juive : pour en finir avec les calomnies, Pierre Itshak Lurçat
Jabotinsky et la tradition juive : pour en finir avec les calomnies, Pierre Itshak Lurçat
Une des nombreuses calomnies qui ont été propagées au sujet de Jabotinsky concerne son rapport au judaïsme et à la religion en général. Selon cette accusation, il aurait été un « ennemi » du judaïsme et de la Tradition juive, qu’il aurait voulu « extirper » de l’État hébreu en gestation… (J’avais répondu à un rabbin francophone qui diffusait de telles accusations sur son site, et qui les a depuis retirées. Donc acte). Or un examen attentif révèle que rien n’est plus éloigné de la réalité que cette description caricaturale du fondateur du Bétar et du parti sioniste révisionniste.


Jabotinsky a grandi dans un foyer juif traditionnel où l’on célébrait le shabbat et les fêtes, comme il le décrit dans son autobiographie. Il s’est certes détaché très tôt de la pratique religieuse, mais a gardé un vif attachement pour la Bible hébraïque, qu’il connaissait de manière approfondie et qui lui a inspiré, outre son roman biblique Samson, plusieurs textes importants et des conceptions sociales originales portant notamment sur le Yovel, dont il a fait la pierre angulaire de sa pensée sociale et économique *.
Si le parti révisionniste était à ses débuts un parti laïc, aspirant à la normalisation et à la laïcisation de la condition juive, à l’instar des courants majoritaires au sein du mouvement sioniste (à l’exception du Mizrahi), il a pourtant connu une évolution significative – parallèle à celle de son fondateur – liée à plusieurs facteurs concurrents, tant historiques que personnels.

RAV KOOK.jpgL’influence du rav Kook
L’événement marquant qui a déterminé cette évolution fut l’affaire Arlosoroff et la prise de position courageuse du rabbin Kook, qui s’éleva publiquement contre les accusations mensongères portées contre Avraham Stavsky et ses camarades, accusés d’assassinat du leader travailliste, qui furent finalement innocentés. Jabotinsky fut très impressionné par l’engagement et par la stature morale du grand-rabbin Kook, telle qu’elle se révéla à lui durant cet épisode, et il en conçut une vive admiration pour ce dernier, qu’il compara dans un texte fameux au « Grand-prêtre » de la Bible.
Dans une lettre datée du 22 juin 1934, adressée au rav Nathan Milikovsky (le grand-père de Binyamin Nétanyahou), Jabotinsky écrit ces mots :
Le nom du rabbin K. est devenu en l’espace d’une nuit un symbole sublime dans le cœur des foules. Et moi-même, en toute humilité, si je n’étais pas totalement ignorant** des choses de la Tradition, craignant de m’exprimer sur les sujets religieux, je choisirais précisément cet instant pour lancer publiquement un appel dont je rêve depuis l’époque de ma jeunesse : renouveler, de nos jours, le titre de « Cohen Gadol » (Grand-Prêtre). Je suis persuadé que la majorité des Juifs du monde entier accepteraient cela avec enthousiasme, et que même les gouvernements (dans les pays qui reconnaissent le judaïsme comme communauté religieuse) entérineraient cette décision. Mais je n’ose pas…
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Un an plus tard, en 1935, lors du Congrès fondateur de la Nouvelle Organisation sioniste, Jabotinsky accueille avec sympathie « l’Alliance de Yéchouroun », courant sioniste-religieux au sein du parti révisionniste, malgré la vive opposition de plusieurs membres de la Vieille Garde du parti, au rang desquels figurent Adia Gourevitz (fondateur du mouvement cananéen) et son propre fils, Eri Jabotinsky. Dans son discours prononcé devant le Congrès de la N.O.S., Jabotinsky déclare :
« Bien entendu, la religion est l’affaire privée de chacun… Dans ce domaine doit régner la liberté absolue, héritée de l’ancien libéralisme sacré... Mais ce n’est pas une question privée de savoir si le Mont Sinaï, les prophètes sont des fondements spirituels ou une momie dans une vitrine de musée, comme le corps embaumé de Pharaon…
C’est une question essentielle et supérieure pour un État et pour notre nation, de veiller à ce que le feu sacré perpétuel ne s’éteigne pas… pour que soit préservée, au milieu du tumulte des innombrables influences qui entraînent la jeunesse de nos jours, et parfois la trompent et l’empoisonnent, cette influence qui est une des plus pures – l’esprit de D.ieu ; pour qu’un endroit subsiste pour ses partisans et une tribune pour ses promoteurs » ***.
Jabotinsky_gallery2_big.jpg Ainsi Jabotinsky, loin de vouloir « extirper le judaïsme » du futur État juif, se préoccupe au contraire de le faire perdurer ! (Un peu comme Ben Gourion, qui se montrera très tolérant envers les revendications des Juifs orthodoxes en matière d’éducation et d’exemption de service militaire dans les années 1950). A la même époque, il écrira aussi que « le fait que l’élève observe les mitsvot ou non est son affaire personnelle, mais il doit connaître nos coutumes, tout comme l’histoire ou la littérature, car les coutumes font partie de l’âme de la nation… »
L’évolution de Jabotinsky tient également à sa compréhension profonde du rôle de la tradition. Après avoir, comme beaucoup de dirigeants sionistes de sa génération, rejeté la Yiddishkeit et le joug des mitsvot vestiges d’un passé sur les ruines duquel ils voulaient édifier une nouvelle Nation en créant un « Nouveau Juif » – il est parvenu dans les années 1930 à une appréciation positive de l’importance de la tradition juive, à laquelle il attribue un rôle essentiel dans l’édification d’un État et d’une nation hébraïque.
Le « sionisme suprême »
Dans son discours programmatique, lors du Congrès fondateur de la N.O.S. à Vienne, en 1935, Jabotinsky définit ainsi le but du « sionisme suprême » :
« L’État juif n’est que la première phase de la réalisation du sionisme suprême. Après cela viendra la deuxième phase, le retour du peuple Juif à Sion… Ce n’est que dans la troisième phase qu’apparaîtra le but final authentique du sionisme suprême – but pour lequel les grandes nations existent : la création d’une culture nationale qui diffusera sa splendeur dans le monde entier, comme il est écrit : ‘Car de Sion sortira la Torah’ ».
Ce n’est pas le moindre paradoxe de la pensée, riche et complexe, du « Roch Bétar » - souvent dépeint de manière caricaturale comme un Juif totalement assimilé, ennemi de la tradition, que cette vocation du futur État juif, à la fondation duquel il a donné sa vie, soit exprimée précisément dans les mots du prophète Isaïe.

NB Ma conférence sur Jabotinsky, filmée par Denis Kassel à la synagogue Emounah est en ligne ici

Notes

* Voir mon article, « L’idée du Yovel dans la pensée sociale de Zeev Jabotinsky ».

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