mardi 28 août 2012

pour vous



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Dessin de Plantu
Alors que quelques sièges de représentants, de sénateurs et de gouverneurs n’étaient toujours pas attribués dimanche 7 novembre, la situation politique des Etats-Unis était claire : une Maison Blanche et un Sénat démocrates, une Chambre des représentants républicaine tout comme une majorité des gouverneurs.
Les Démocrates conservent le Sénat, avec au moins 53 sièges sur 100, perdant 6 sièges, dont celui de l’Illinois, encore occupé par Barrack Obama il y a deux ans.
Les Républicains remportent la Chambre des représentants, avec au moins 239 sièges sur 435, soit un gain net de 60 sièges. Il faut remonter aux « mid-term elections » de 1938 pour retrouver une perte de sièges plus importante : le New Deal avait alors coûté 71 sièges à la majorité présidentielle démocrate de Franklin D. Roosevelt.
Enfin, les Républicains remportent la majorité des sièges de gouverneurs, dont 37 étaient à pourvoir, avec 29 sièges au moins sur 50, soit un gain net de 9 sièges. La Floride, l’Etat de Jeb Bush de 1999 à 2007, frère de George W. Bush, après une parenthèse avec un « Indépendant », redevient républicaine. L’Illinois reste démocrate, et Hawaï le devient, arraché aux Républicains : deux Etats chers au cœur de Barack Obama.
Une vague républicaine et une situation de "gridlock", donc, mais pas un raz-de-marée comme certains le pronostiquaient. Quelles sont les causes de cette situation ?
La situation économique, le chômage et le sous-emploi
La réponse est venue de Barack Obama : la première cause est la situation économique, et particulièrement le chômage. Selon un sondage à la sortie des urnes, 62% des Américains plaçaient la situation économique en tête de leurs préoccupations. À 9,6%, le niveau du chômage est loin de son niveau d’avant la crise, où le chômage « de base » se situait à 4,5-5%. Le chômage devrait baisser à 8,5% au 4ème trimestre 2010 selon l’OCDE, pour se stabiliser autour de 7,5-8% dans les années à venir : l’OCDE prévoit une croissance « molle » pour les Etats-Unis, de 2,6% en 2010 et 2011. Au chômage s’ajoute le sous-emploi, le chômage à temps partiel : le sous-emploi total s’élève désormais à 17,6%. Aux 14,9 millions de demandeurs d’emploi s’ajoutent les 12,5 millions de salariés qui ne travaillent pas comme ils le souhaiteraient, soit un total de 27,4 millions de personnes. Bien sûr, au chômage et au sous-emploi s’ajoute une précarisation croissante : saisies immobilières, non accès aux soins médicaux, … Vendredi, les chiffres de l’emploi étaient meilleurs qu’attendu (151 000 créations d’emplois le mois dernier, deux fois plus que ce que les économistes avaient prévu) mais le taux de chômage stagnait, comme les mois précédents, à 9,6%.
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Barack Obama tire les enseignements de l'échec des Démocrates aux élections de mi-mandat lors d'une conférence de presse le 3 novembre 2010 (Reuters/Larry Downing)
Mercredi 3 novembre, le président Obama disait comprendre « le profond mécontentement » des électeurs : « Ils veulent que l'emploi revienne plus vite, ils veulent plus de pouvoir d'achat, et ils veulent que leurs enfants aient les mêmes possibilités que celles qu'ils ont eues. Je pense que nous devons assumer la responsabilité directe du  fait que nous n'avons pas avancé autant que nécessaire. Nous avons stabilisé l'économie. Nous avons des créations d'emplois dans le secteur privé. Mais les Américains ne ressentent pas les effets de ces progrès. ».
 
 
Le président Obama a refusé de « tailler dans les investissements essentiels qui vont assurer [aux Etats-Unis] une économie compétitive et en croissance dans les années à venir » comme l’éducation, la recherche sur l’automobile propre, et les infrastructures de transport (aéroports, chemins de fer).
Il y aura « des choix difficiles » : « Dans ces discussions budgétaires, la clé sera de savoir distinguer entre ce qui n'amène pas de croissance, ce qui n'est pas un investissement pour l'avenir et les choses qui sont indispensables pour garantir la croissance future du nombre d'emplois. ». Un discours dont la teneur est proche de celui de Ségolène Royal (Pacte présidentiel de 2007 : « Un euro dépensé doit être un euro utile »).
Vendredi 5 novembre, le président Obama a quitté les Etats-Unis pour une tournée officielle de 10 jours en Asie.
Mais le recul général des Démocrates aux « mid-term elections » de 2010 a d’autres causes.
La participation aux scrutins
La participation a baissé d’un tiers par rapport à 2008, à 82,5 millions de personnes, ce qui est partiellement dû à la moindre mobilisation des élections intermédiaires, les « mid-term elections ».
Les électeurs blancs et les électeurs noirs
Les électeurs blancs étaient proportionnellement plus nombreux qu’en 2008 : 78% cette année contre 74%. Les électeurs noirs ont moins voté (10% contre 13% en 2008).
Les personnes âgées de plus de 65 ans et Medicare
Plus de 65 ans
Le vote des personnes âgées de plus de 65 ans pour la Chambre des représentants en 2010 : en couleur, les Etats ayant plus de 15% de personnes âgées de 65 ans et plus, en rouge les Républicains, en bleu les Démocrates ; on notera la Floride (14 sièges républicains en rouge), et la Rust Belt, la 'ceinture de rouille', ancienne ceinture manufacturières en déclin autour des Grands Lacs, du Michigan à l'Etat de New York (19 sièges républicains en rouge) (Washington Post)
Les personnes âgées de 65 ans et plus ont voté à 59% pour les Républicains, contre 38% pour les Démocrates, selon des sondages sorties des urnes. Un cinquième de ces électeurs ont déclaré que l’assurance santé (Medicare, créée en 1965) était leur principale préoccupation, et plus de la moitié a indiqué qu’ils souhaitaient que le Congrès rejette la réforme de l’assurance-santé.
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Sur la chaîne pro-républicaine Fox News de Murdoch : "Réforme de l'assurance-santé - avertissement des Républicains concernant la réforme - un devoir envers les seniors américains", titre qui vise les prétendues attaques de l'assurance-santé sur Medicare
Car les candidats républicains ont mené une campagne qui visait à tailler en pièces la réforme de l’assurance-santé du président Obama : la nouvelle assurance-santé pillerait le système Medicare d’assurance-santé, réservé aux personnes de plus de 65 ans, sous conditions ; et un Congrès républicain les sauverait, d’une certaine manière, disait en substance la campagne. « Ces assertions ont pu atteindre leur but politique, mais elles sont aussi trompeuses et complètement fausses par de nombreux aspects », assène le New York Times le 4 novembre. « Il n’y aura pas de coupes sombres d’aucune sorte [dans Medicare] , et il y aura même des améliorations dans les prestations pour le programme Medicare de base qui couvre les trois quarts des bénéficiaires de Medicare. » Et le New York Times de conclure : « Que va faire M. Boehner [nouveau Speaker républicain de la Chambre des représentants] pour « sauver » Medicare, sans accroître les déficits et sans affaiblir le programme ? »

Les jeunes
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Des jeunes femmes attentives à un discours de campagne du président Obama pendant la campagne à l'Université de Californie du Sud (USC), à Los Angeles (Doug Mills/The New York Times)
À l’inverse, les jeunes (moins de 30 ans) se sont moins déplacés et représentaient seulement 11% des électeurs cette année. En 2008, ils représentaient 18% de l’électorat et ils avaient été plus nombreux que les personnes âgées, mais cette année, malgré les appels à la mobilisation du président, ils n’ont pas suivi.
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Les cheerleaders de l'Université de Californie du Sud regardent le président Obama serrer la main de la candidate au Sénat Barbara Boxer, réélue depuis. Le président est allé à la rencontre des étudiants et des jeunes, une partie de l'électorat démocrate traditionnel, dans les semaines qui on précédé le scrutin (Doug Mills, The New York Times)
Le New York Times explique que l’électorat « jeune » est des plus fluctuant, et que les électeurs perdus en 2010 ne le sont pas à jamais. Il souligne que les jeunes viennent moins nombreux, traditionnellement, aux élections intermédiaires, les fameuses « mid-term elections ». Lors des dernières « mid-term elections », en 2006, les jeunes représentaient 12% des votants. Un chiffre très proche des 11% de 2010.
Pas assez vite, pas assez loin : la réforme de l’assurance maladie
De fait, une partie des électeurs a sanctionné les Démocrates parce que Barack Obama n’est pas allés assez vite, assez fort, et assez loin. Barack Obama l’a compris : « Le message que je retiens, c'est que les gens sont mécontents, mais ils continuent à vouloir le changement. ».
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Le président Obama et l'animateur Jon Stewart dans le 'Daily Show' sur la chaîne Comedy Central le 27 octobre 2010 (Getty images)
Une semaine avant l’élection, Barack Obama est allé affronter l’animateur Jon Stewart, qui présente un vrai faux journal sur la chaîne Comedy Central, le 'Daily Show'. Quand Jon Stewart a parlé, sous les rires, de la « timidité » de la réforme de l’assurance-santé, le président Obama a répliqué :
« Jon, j'aime bien votre show. Mais sur ce point, je suis en profond désaccord avec vous. Trente millions de personnes vont avoir une assurance grâce à cette réforme. Il y a en ce moment une femme dans le New Hampshire qui n'a pas besoin de vendre sa maison pour obtenir son traitement contre le cancer. Et elle ne pense pas que c'est timide. »
En Géorgie, Etat du Sud, Sanford D. Bishop Jr. a été l’un des rares représentants démocrates à être réélu« dans un océan de rouge » républicain rapporte le New York Times, par 51% des voix contre 49%.
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Le représentant démocrate Sandford Bishop, réélu, à droite, à sa soirée de campagne à Albany, en Géorgie (Todd Stone/Associated Press)
Pourquoi ? Parce que M. Sanford était président de la campagne du candidat Obama en 2008 en Géorgie, et qu'il a voté pour le plan de relance et la réforme de l’assurance-santé du président Obama. Il a déclaré après son élection : « Les 86 370 électeurs qui m’ont accordé leur voix ont estimé que le vote pour la réforme de l’assurance-santé était un bon vote, ou que ce n’était pas un vote si mauvais qu’il m’empêche de me battre au Congrès pour les besoins qu’ils expriment. ».
Les liaisons dangereuses des Républicains et du Tea Party
À l’autre extrémité de l’échiquier politique, un élément à double tranchant a profondément impacté le paysage politique américain. En 2008, un certain nombre de Républicains avaient été horrifiés par l’arrivée de Barack Obama au pouvoir. Ils avaient agité le chiffon rouge du « communisme » et du « marxisme » supposé de Barack Obama, notamment à cause de son projet de réforme sur la sécurité sociale. Certains n’avaient pas vu d’un bon œil l’arrivée à la tête de l’Etat fédéral du fils d’un athée Kenyan, originaire d’une région à forte influence musulmane.
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Sarah Palin, égérie du Tea Party : derrière elle : "Tea Party Express IV" (18 octobre-1er novembre 2010) "Liberty at the Ballot Box!" (La liberté dans les urnes électorales!) et l'adresse du site www.TeaPartyExpress.org (Scott Sady/AP)
Cette rancœur ne s’est pas éteinte en 2008, mais s’est au contraire trouvée avivée, la candidate républicaine à la vice-présidence en 2008, Sarah Palin, étant devenue l’égérie du Tea Party, mouvement ultra-conservateur, populiste : opposition au gouvernement fédéral jugé trop puissant,nécessité de réduction des dépensesbaisse des impôts et farouche opposition à la réforme du système de santé adoptée de haute lutte sous l'impulsion d'Obama. Sarah Palin est devenue éditorialiste de Fox News, nouvelle chaîne télévisée du groupe Murdoch, qui défend systématiquement les Républicains et dénigre systématiquement les Démocrates. C’est la première fois dans l’histoire du pays qu’une grande chaîne généraliste est une chaîne partisane ; ce qui a certainement eu un impact sur les élections de 2010. Le Tea Party s’est rangé sous l’aile du parti républicain, qui du coup s’est radicalisé, alors que les Démocrates restaient au centre ou au centre-gauche.
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Mélange des genre et Fox News, la chaîne partisane : sur une page du site du Tea Party Express : "L'émission de Fox News "Fox Nation" a présenté notre annonce "Tea Party Express" et réalise un sondage : "Allez vous rejoindre le Tea Party Express?"..."
Du coup, une partie de l’électorat républicain traditionnel ne s’est pas reconnue dans certains candidats républicains, ce qui a assuré la victoire de certains Démocrates : le maintien des Démocrates au Sénat est probablement dû en partie à la défaite des républicains soutenus par le Tea Party.
Cela est particulièrement vrai dans le Sud-Ouest et l’Ouest des Etats-Unis, avec la question de l’immigration, notamment en provenance du Mexique, sur laquelle le Tea Party a pris des positions très dures, qui a fortement influencé le vote hispanique (« latino » disent les Américains).
Le vote hispanique (« latino »)
De fait, le vote « latino » a contribué au maintien d’une majorité démocrate au Sénat, et a généralement été favorable aux Démocrates.
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Le groupe de Mariachis Trios Los Munecos en promenade à Hollywood, en Californie, le jour du vote ; panneaux en espagnol : "Pour nos famille, le 2 novembre, votez tous!", "Pour les (im)migrants, votez tous!" (Monica Almeida/The New York Times)
Dans l’Ouest, les militants « latinos » démocrates ont fait preuve d’une belle vigueur sur le terrain : porte-à-porte, phoning, discussion avec les Américains dans la rue, ...
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Harry Reid, leader de la majorité démocrate au Sénat et sénateur du Nevada, fêtant sa victoire contre la candidate républicaine du Tea Party Sharron Angle, avec sa femme Landra à Las Vegas (Jim Wilson/The New York Times)
Le leader de la majorité démocrate au SénatHarry Reid, a sauvé son poste de sénateur du Nevada (50% contre 45%) en partie grâce à un vote « latino » massivement en sa faveur selon des sondages sortie des urnes : 68% des votes « latinos » se sont portés sur M. Reid, contre 60% en 2004, pour une communauté qui représente 13% de l’électorat, et les analystes estiment que ce vote a été décisif dans l’avance de 5 points du sénateur démocrate.
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Supporters "latinos" et pancartes en espagnol soutenant Barbara Boxer, sénatrice démocrate californienne réélue (MA/TNYT)
Il en a été de même pour la sénatrice démocrate Barbara Boxer de Californie, élue par 52% contre 43%, qui a recueilli 65% du vote « latino », et du sénateur démocrate Michael Benett du Colorado, élu par 48% contre 47%.
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Le sénateur démocrate Michael Benett et sa famille lors de l'annonce des premiers résultats à la télévision (Dana Romanoff/TNYT)
L’électorat « latino » a voté à 64% pour le Démocrate Jerry Brown au poste de gouverneur de Californie, dans le cadre de la succession du Républicain Arnold Schwarzenegger. Il faut dire que son adversaire, la milliardaire républicaine Meg Whitman, ex-dirigeante d’eBay, a fait une « boulette » : elle a renvoyé brutalement une femme de ménage « latino » qu’elle employait de longue date quand elle a appris qu’elle était une immigrante hispanique, juste après avoir déclaré qu’elle la considérait comme un membre de sa famille à part entière.
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La Républicaine Meg Whitman, le gouverneur de Californie Arnold Schwartzenegger et le Démocrate Jerry Brown lors du débat à Long Beach, en Californie, mardi 26 octobre 2010 (AFP/Kevork Djansezian)
Les campagnes publicitaires de Mme Whitman pour une politique de l’immigration plus stricte utilisant surtout l’anglais et peu l’espagnol ont achevé de la discréditerLa position encore plus ferme sur le thème de l’immigration illégale de l’adversaire de la sénatrice démocrate Barbara Boxer en Californie, la Républicaine Carly Fiorina, s’est traduite par un vote « latino » encore plus défavorable pour elle que dans le cas de Meg Whitman. Un cas à méditer pour les Républicains.
En conclusion, derrière toutes ces tendances, la partie n’est pas perdue pour Barack Obama, notamment dans la perspective de l'élection présidentielle de 2012, et est loin d’être gagnée pour les Républicains, à qui il manque l’essentiel à deux ans des prochaines élections : une figure charismatique qui rassemble côté républicain, comme Obama rassemble côté démocrate.
Interrogés à la sortie des urnes, les électeurs américains ont indiqué à 37% que leur vote exprimait leur opposition à Barack Obama, à 37% que leur vote n’était absolument pas lié à Barack Obama, et à près de 25% que leur vote exprimait pour partie leur soutien au président Obama. Ils ont aussi indiqué qu’ils avaient une opinion négative du parti démocrate à 53%, et une opinion négative du parti républicain à 52%On est loin d’un plébiscite pour les Républicains ou d’un vote-sanction contre Obama.
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Les responsables n°1 de la crise économique : les banquiers de Wall Street ("Wall Street - Money Never Sleeps" d'Oliver Stone)
Enfin, à la question : « Selon vous, sur qui doit-on rejeter la responsabilité de la crise économique ? », les Américains ont répondu « les banquiers de Wall Street » à 35%, « le président George W. Bush » à 29%, et « M. Obama » à 23%.
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Le responsable n°2 de la crise économique : le président George W. Bush (Reuters)
Les banquiers de Wall Street, tout comme les assureurs santé privés, les industriels pollueurs, les compagnies pétrolières – souvent des amis des élus républicains – et la réforme financière du président Obama, sa réforme de l’assurance santé, son plan climat et sa réforme verte – du côté démocrate : voilà la ligne de démarcation politique aux Etats-Unis aujourd’hui.
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