Ce texte vigoureux et désespéré a été rédigé par le Gaza Youth Breaks Out, un
collectif de jeunes artistes et militants associatifs de la bande de
Gaza. On y lit leur ras-le-bol. Et bien qu'ils parlent d'Israël, on y
trouve surtout une critique ferme du Hamas qui «lave les cerveau,
torture, etc.» La principale critique d'Israël au final est «vous nous
avez attaqué lors de Plomb Durci pour détruire le Hamas et vous n'avez pas réussi.»
Un appel à l'aide courageux si l'on songe à la sauvagerie des représailles encourues !
Une bouteille jetée à la mer. Un cri pour
dire à l'Europe «cessez de soutenir le Hamas» ! Et ils ont raison, sans
le Hamas, Gaza serait un petit paradis...
TEXTE DE L'APPEL
«Merde au Hamas. Merde à Israël. Merde au Fatah. Merde à l'ONU et à l'Unrwa (1). Merde à l'Amérique !»
Nous, les jeunes de Gaza, on en a marre d'Israël, du
Hamas, de l'occupation, des violations permanentes des droits de l'homme
et de l'indifférence de la communauté internationale.
Nous voulons crier, percer le mur du silence, de
l'injustice et de l'apathie de même que les F16 israéliens pètent le
mur du son au-dessus de nos têtes, hurler de toute la force de nos âmes
pour exprimer toute la rage que cette situation pourrie nous inspire.
Nous sommes comme des poux coincés entre deux
ongles, nous vivons un cauchemar au sein d'un autre cauchemar. Il n'y a
pas d'espace laissé à l'espoir, ni de place pour la liberté.
Nous n'en pouvons plus d'être piégés dans cette
confrontation politique permanente, et des nuits plus noires que la suie
sous la menace des avions de chasse qui tournent au-dessus de nos
maisons, et des paysans innocents qui se font tirer dessus simplement
parce qu'ils vont s'occuper de leurs champs dans la zone «de sécurité»,
et des barbus qui se pavanent avec leurs flingues et passent à tabac ou
emprisonnent les jeunes qui ont leurs idées à eux, et du mur de la honte
qui nous coupe du reste de note pays et nous enferme dans une bande de
terre étriquée.
On en marre d'être présentés comme des
terroristes en puissance, des fanatiques aux poches bourrées d'explosifs
et aux yeux chargés de haine ; marre de l'indifférence du reste du
monde, des soi-disant experts qui sont toujours là pour faire des
déclarations et pondre des projets de résolution mais se débinent dès
qu'il s'agit d'appliquer ce qu'ils ont décidé; marre de cette vie de
merde où nous sommes emprisonnés par Israël, brutalisés par le Hamas et
complètement ignorés par la communauté internationale.
Il y a une révolution qui bouillonne en nous, une
énorme indignation qui finira par nous démolir si nous ne trouvons pas
le moyen de canaliser cette immense énergie pour remettre en cause le
statu quo et nous donner un peu d'espoir.
Le dernier coup qui a encore aggravé notre
frustration et notre désespoir s'est produit le 30 novembre, quand des
miliciens du Hamas ont débarqué au siège du Sharek Youth Forum
(www.sharek.ps, une organisation de jeunesse très active à Gaza) avec
leurs fusils, leurs mensonges et leur agressivité. Ils ont jeté tout le
monde dehors, arrêté et emprisonné plusieurs personnes, empêché Sharek
de poursuivre ses activités ; quelques jours plus tard, des manifestants
regroupés devant le siège de Sharek ont été agressés, battus et pour
certains emprisonnés.
C'est vraiment un cauchemar au sein d'un autre
cauchemar que nous vivons. Il n'est pas facile de trouver les mots pour
décrire la pression qui s'exerce sur nous.
Nous avons difficilement survécu à l'opération «Plomb durci» de
2008-2009, quand Israël nous a systématiquement bombardé la gueule, a
détruit des milliers de logements et encore plus de vies et de rêves.
Ils ne se sont pas débarrassés du Hamas comme ils en avaient l'intention
mais ils nous ont fichu la trouille pour toujours, et le syndrome du
«stress post-traumatique» s'est installé à jamais en chacun de nous,
parce qu'il n'y avait nulle part où fuir les bombes.
Nous sommes une jeunesse au cœur lourd. Nous portons
en nous un poids tellement accablant qu'il nous empêche d'admirer le
coucher de soleil : comment pourrait-on, alors que des nuages menaçants
bouchent l'horizon et que des souvenirs effrayants passent dans nos yeux
à chaque fois que nous les fermons ?
Nous sourions pour cacher la douleur, nous rions
pour oublier la guerre, nous gardons l'espoir pour ne pas nous suicider
tout de suite.
Au cours des dernières années, Hamas a tout fait
pour prendre le contrôle de nos pensées, de notre comportement et de nos
attentes. Nous sommes une génération de jeunes qui se sont déjà
habitués à évoluer sous la menace des missiles, à poursuivre la mission
apparemment impossible qui consiste à mener une existence normale et
saine, et nous sommes à peine tolérés par une organisation tentaculaire
qui s'est étendue à travers notre société, tel un cancer malveillant
déterminé à détruire dans sa propagation jusqu'à la dernière cellule
vivante, la dernière opinion divergente, le dernier rêve possible, à
paralyser chacun de nous en faisant régner la terreur.
Et tout ça arrive dans la prison qu'est devenu Gaza, une prison imposée par un pays qui se prétend démocratique.
A nouveau l'histoire se répète dans toute sa cruauté et tout le monde a l'air de s'en moquer.
Nous vivons dans la peur. Ici, à Gaza, nous avons
peur d'être incarcérés, interrogés, battus, torturés, bombardés, tués.
Nous avons peur de vivre parce que chaque pas que nous faisons doit être
sérieusement considéré et préparé, parce qu'il y a des obstacles et des
interdits partout, parce qu'on nous empêche d'aller où nous voulons, de
parler et d'agir comme nous le voulons et même parfois de penser ce que
nous voulons, parce que l'occupation colonise nos cerveaux et nos
cœurs, et c'est tellement affreux que c'est une souffrance physique, que
nous voulons verser des larmes de révolte et de colère intarissables.
Nous ne voulons pas avoir de haine, ressentir
toute cette rage, et nous ne voulons pas être encore une fois des
victimes. Assez ! Nous en avons assez de la douleur, des larmes, de la
souffrance, des contrôles, des limites, des justifications injustifiées,
de la terreur, de la torture, des fausses excuses, des bombes, des
nuits sans sommeil, des civils tués aveuglément, des souvenirs amers,
d'un avenir bouché, d'un présent désespérant, des politiques insensées,
des politiciens fanatiques, du baratin religieux, de l'emprisonnement.
Nous disons : ASSEZ ! Ce n'est pas le futur que nous voulons !
Nous avons trois exigences : nous voulons être
libres, nous voulons être en mesure de vivre normalement et nous voulons
la paix. Est-ce que c'est trop demander ?
Nous sommes un mouvement pacifiste formé par des
jeunes de Gaza et des sympathisants de partout ailleurs, un mouvement
qui continuera tant que la vérité sur ce qui se passe chez nous ne sera
pas connue du monde entier, et à tel point que la complicité tacite et
la tonitruante indifférence ne seront plus acceptables.
Ceci est le manifeste pour le changement de la jeunesse de Gaza !
Nous allons commencer par rompre l'occupation qui
nous étouffe, par nous libérer de l'enfermement mental, par retrouver la
dignité et le respect de soi. Nous garderons la tête haute même si nous
rencontrons le refus. Nous allons travailler nuit et jour pour changer
la situation lamentable dans laquelle nous nous débattons. Là où nous
nous heurtons à des murs, nous construirons des rêves.
Nous espérons que vous qui lisez maintenant ces
lignes, oui, vous, vous nous apporterez votre soutien. Pour savoir sous
quelle forme c'est possible, écrivez sur notre mur ou contactez-nous
directement à :
freegazayouth@hotmail.com
Nous voulons être libres, nous voulons vivre, nous voulons la paix.
La plage de Gaza un jour de calme précaire
(1) Agence de l'ONU créée en 1948 pour prendre en charge les réfugiés palestiniens.
Traduit de l'anglais par Bernard Cohen - Publié dans Libération - Merci à Alain G. pour l'info !
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